An interview with Esmeralda of Belgium and Sandrine Dixson-Declève by Michel de Muelenaere for ’Le Soir’

16 April 2020 – The interview with CoR Co-President Sandrine Dixson-Declève and Esmeralda of Belgium (in French) was originally published in Le Soir.

Aussi engagées l’une que l’autre. Aussi volontaires mais tout aussi inquiètes. La princesse Esmeralda de Belgique et Sandrine Dixson-Declève, coprésidente du club de Rome, partagent la même passion. Fille de l’ancien roi Léopold III, la première est très impliquée sur les dossiers environnementaux, par le biais du Fonds Leopold III pour l’exploration et la conservation de la Naturequ’elle préside, mais aussi au sein de diverses organisations non gouvernementales comme Friendship Belgium. Elle est aussi proche du mouvement radical Extinction Rebellion. Sandrine Dixson-Declève quant à elle chuchote aux oreilles de la Commission européenne et des Nations unies.

Trois points d’analyse. L’impréparation de nos pays, l’immense reconnaissance pour le personnel médical et paramédical, pourtant mal équipé par les autorités, et le constat de millions de gestes de solidarité au sein des populations alors que les gouvernements s’accusent et se divisent.

Prévenus mais imprévoyants

« L’échec des gouvernements est préoccupant, entame Esmeralda. Les scientifiques nous préviennent depuis des années. Tous ont alerté de l’arrivée d’une pandémie. De la même façon, on nous alerte sur les dérèglements climatiques et sur l’effondrement des écosystèmes. Là non plus, aucune préparation à la crise. Au Royaume-Uni, l’austérité a démoli les hôpitaux et a raboté le budget des soins de santé. J’ai très peur qu’on assiste à la même chose pour l’urgence climatique dont nous sommes prévenus. On nous alerte, mais les politiques ne se préparent pas ».

« A la base du fiasco, il y a bien entendu cette idée que nous dominons tout, poursuit Dixson-Declève. Or, le Club de Rome le répète depuis des décennies : nous faisons partie de cette planète, nous y sommes tout au plus invités. L’autre constat, c’est que l’humanité ne réagit pas tant qu’elle n’est pas confrontée à une crise ».

« On a mis le profit avant les gens, regrette Esmeralda. C’est très visible dans les coupes budgétaires : on a privilégié l’économie au détriment des gens. Le service public a été réduit partout. Or, on se rend compte aujourd’hui à quel point on en a besoin. Comme on a besoin de toute une série de métiers essentiels qu’on applaudit aujourd’hui. Cette reconnaissance est merveilleuse, mais c’est aussi triste d’en arriver là alors que la vraie cause du problème, c’est l’absence de soutien structurel ».

« Une population saine sur une planète saine, c’est le message que nous voulons lancer, dit Sandrine Dixson-Declève. Et rappeler que l’économie doit être celle du bien-être de tous. Les vraies valeurs sont celles que nous sommes en train de redécouvrir : être avec sa famille proche, promouvoir les emplois les plus importants, collaborer, entre gouvernements et entre communautés. Créer une société équitable et résiliente face aux prochaines crises ».

« Ici au Royaume-Uni, ajoute Esmeralda, je suis frappée par le fait que toutes les infirmières, tous les docteurs font partie de l’immigration. Tous les soirs, on voit leurs visages à la télévision ; même chose pour les conducteurs de bus. C’est un coup de poing direct avec le Brexit, où l’on a choisi le repli sur soi et sur la souveraineté nationale. On voit aujourd’hui à quel point le pays dépend de l’immigration. Par ailleurs, si le Covid-19 frappe tout le monde, ce sont surtout les plus vulnérables qui sont en première ligne. Les pays en développement vont être affectés de manière terrible ». Aux Etats-Unis, poursuit Sandrine Dixson-Declève qui a la double nationalité américaine et belge, trois-quarts des décès sont des noirs et des latinos. La tranche la plus pauvre de la population est la plus atteinte ; ce sont souvent des soignants ou des sans-abri. Aux USA, la population de pauvres est énorme. On y voit une fois de plus le lien entre les différentes vulnérabilités. C’est la même chose pour les changements climatiques : les pays et les populations les plus pauvres sont les plus affectés. Ainsi, si des crises sanitaires ou climatiques se déclenchent, notre problème de migration va croître de manière exponentielle ».

En sortir sans commettre d’erreur

Pour Esmeralda, si les hommes semblent les plus touchés par le virus, lockdown et crise économique ont en revanche « un impact beaucoup plus grand sur les femmes et sur les jeunes. Ce sont eux qui travaillent à temps partiel, qui sont prioritairement touchés par le chômage. Dans certains pays en développement, ce sont les filles qui sont le plus affectées par la fermeture des écoles. Et à la réouverture, il y a un grand risque qu’elles n’y retournent pas ».

Alors que tout le monde s’agite pour organiser la sortie de crise, nos deux interlocutrices mettent en garde. « La distribution de l’aide post-Covid doit être claire et équitable entre les différents pays européens. Par ailleurs, lorsqu’on prendra les décisions de relance il ne faudra pas oublier les objectifs climatiques et de biodiversité. Au lieu d’aider le secteur des énergies fossiles alors que les prix sont écrasés, profitons-en pour réorienter les subsides vers le secteur de la santé. Sans cela, nos sociétés seront incapables de faire face aux crises futures. On sait que la pollution de l’air aggrave le risque d’attraper le Covid. Cela devrait inspirer nos politiques ».

On balance entre espoir et crainte. « J’ai un espoir incroyable, juge la princesse. On pourrait changer ; c’est à la suite de guerres et de crises que des grands changements adviennent. Mais je reconnais que cela pourrait être le contraire. Certains profitent souvent des chocs dus aux crises pour pousser les mesures d’austérité et la privation des libertés. Des forces s’affrontent en ce moment et je ne sais pas qui va gagner. Les compagnies aériennes font du lobby, les patrons des énergies fossiles sont reçus à la Maison-Blanche, certains aux Etats-Unis accusent la Chine et jugent qu’elle devrait payer des indemnités… C’est la raison pour laquelle les citoyens doivent s’exprimer plus fortement. Il est important de dire que la vie telle qu’elle était avant n’était pas celle qu’on veut ! »

C’est un message essentiel, martèle Sandrine Dixson-Declève. « Certains veulent retrouver ce qu’on avait avant, affirmant que le système économique éliminait la pauvreté et apportait la croissance dans tous les pays. Mais on parle de quoi !? Ces gens vivent dans leur bulle. Globalement, et en particulier dans les pays soit disant « développés », nous avons le plus haut taux de suicide, de dépression et de « burn-out » des jeunes. Cette génération sera la première qui va gagner moins que ses parents. Et cela concerne moins le Sud qui continue à se développer économiquement. Notre économie ne fonctionne pas comme il faut. Je ne comprends pas qu’on puisse vouloir repartir vers un système qui ne donne pas l’équilibre et le bien-être pour tous. Tuons cette idée de vouloir revenir en arrière, utilisons ce moment de crise pour réfléchir à mettre en place quelque chose de plus juste. Certes, on ne peut pas tout changer maintenant. Mais ne retournons pas en arrière ».

Le Green Deal européen doit en tout cas se trouver au centre du jeu. Encore faut-il le financer… « Il y a assez d’argent si on finance bien, tranche Dixson-Declève. Il y a un gaspillage incroyable via des subsides néfastes ». « On affirme toujours qu’il n’y a pas assez d’argent, s’emporte Esmeralda. Mais étonnamment quand une crise survient, l’argent on finit par le trouver ! En réalité, il est là. Il suffit de voir quelles sont les priorités ».

Pour Sandrine Dixson-Declève, il faut « changer de philosophie. La crise sanitaire est liée aux crises climatiques et des écosystèmes. Bien sûr, il faut protéger la santé, organiser tout ce qu’il faut pour éviter de nouvelles crises : investir dans les vaccins, dans la préparation et l’équipement du monde médical. Il faut collaborer aussi, ceci n’est plus une question de compétition, c’est le bien-être de l’humanité qui est en jeu. Sur le plan économique, il faut certes aider les industries, mais pas celles qui œuvrent contre nos objectifs environnementaux et climatiques. Songeons plutôt à sauver des emplois plutôt qu’à aider entreprises. Et réfléchissons à comment créer des nouveaux emplois puisque des personnes vont être licenciées. Il faut aussi aider les pays endettés, mais cette dette doit servir à mettre en place une économie régénératrice qui rend l’industrie moins polluante, réduit les effets des changements climatiques et aidera nos sociétés à être plus fortes »

Conditionner l’aide ? « Soyons clairs, termine-t-elle, on ne peut refuser d’aider les entreprises. Mais on peut fixer des conditions. Qu’elles produisent autrement, qu’elles se mettent en phase avec l’accord climatique de Paris. On ne peut s’être fixé un objectif zéro carbone en 2050 et repartir dix ans en arrière en aidant tous les producteurs d’énergies fossiles. Même chose avec les constructeurs automobiles, il faut imposer une réduction des émissions et une électrification. Par ailleurs, on pense à aider des industries sans penser à la révolution industrielle. Après la crise de 1920-1930, toutes les industries se sont renouvelées, de même que la relation entre employeurs et employés. C’est la même chose aujourd’hui : on a besoin de révolution ».

Le Green Deal européen qui dessine une trajectoire pour une Europe bas carbone en 2050 doit être la base de la relance, disent les deux. Esmeralda reconnaît qu’elle préférerait une approche encore plus radicale. « Mais il faut prendre le meilleur ; le Green Deal, c’est la seule chose qu’on a, même s’il faut aller beaucoup plus loin. Ce plan est logique, rationnel et va dans le bon sens. C’est vrai qu’il ne faut pas laisser tomber les compagnies aériennes même si c’est révoltant de voir qu’elles ont utilisé 96 % de leurs profits pour rémunérer les actionnaires. L’aide doit se faire sous conditions, il faut rester ferme là-dessus. Après, il faut développer le rail qui est complètement négligé, développer le transport en commun local, en diminuer le prix. Le nouveau système doit être bon pour les gens, pour la santé, pour le moral et pour la nature ».

« Toutes les solutions sont là, conclut Dixson-Declève. Prenons ce qu’on a. La population doit se dire qu’il est indispensable de faire les choses autrement. Cette conscientisation doit se faire à grande échelle : les systèmes économiques, financiers, gouvernementaux ne fonctionnent pas bien pour l’être humain. Il faut changer cela. Si les politiciens osent prendre ce risque ils seront suivis par les populations ».

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